Patriarcat, mais presque

“La vie quotidienne nous fournit d’innombrables petits indices qui nous rappellent constamment que Madame semble être le meilleur ami de l’Homme. Au grand dam de Médor.”

©Source : Amnesty international Espagne

Par Tobu

Il semble que les petites choses de la vie courante soient celles qui distillent l’essence de l’être humain. Kant l’a dit. Nietzsche l’a dit. Du coup, je le dis aussi. On est dans l’introduction, je ne vais pas prendre trop de risque dans les premiers dix mètres quand même.  

L’essence de l’être humain, disais-je donc : la générosité dans un regard, la solidarité dans une main tendue, ou la fourberie dans cette joie incontrôlable qui s’empare de moi suite à l’annulation soudaine et inopinée du traditionnel repas dominical chez Tante Odette. 

Ainsi, il suffirait d’observer attentivement ces petites bribes de vie fournies par l’homo sapiens version 2.0 et les mettre bout à bout pour voir se dessiner certains traits proéminents du système que l’on a contribué a forger. 

Et que verrions-nous apparaître en premier ?

Si j’en crois mon strabisme, nous verrions une archidomination du masculin, traduite en une ribambelle de micromachismes quotidiens qui nous parlent de la vraie nature de notre société. 

Oui mes amies, j’ai bien peur que la vérité ne soit plus crue qu’un carpaccio chez la vieille Odette…

Illustrations pratiques.

Je suis au restaurant avec ma femme, assis, détendu, consultant la carte entre deux regards langoureux. C’est évidemment une histoire fictive, car ayant deux marmots en bas âge, en temps normal au resto, les regards langoureux relèvent de la physique quantique : ils existent et n’existent pas à la fois. C’est d’ailleurs plutôt l’image d’un lévrier poursuivant deux lapins entre des tables qui me vient à l’esprit quand je repense à mes dernières sorties culinaires.

Mais passons. Personnellement,  je suis le genre de type qui prend un kilo à la seule lecture du mot “cassoulet”. Je bouffe un hippocampe et je ne rentre plus dans mon jean – ni à WWF d’ailleurs.  Ma femme, quant à elle, enfile des fondues savoyardes le matin avec ses Corn Flakes et maintient la ligne de flottaison (pendant que je visite la fosse des Mariannes). Bref, nous ne sommes pas tous égaux. Ni égales.

Nous voilà donc à l’heure de commander et le serveur s’approche : “Que prendront ces messieurs-dames ?”

Question évidemment dirigée au mâle dominant, à l’Alpha du groupe. On est deux, je n’ai jamais fait de grec, mais l’alpha, j’ai la nette impression que c’est moi. Roméo, à l’extrême limite, mais franchement, Alpha.... Enfin, Alpha commande une cuisse d’autruche confite (pour elle, évidemment) et une salade de germes de  pousses d’algue – du goémon mais sans fientes de mouette ni de chiures de crabe dessus – pour moi, évidemment.

Les trente minutes de rigueur sont passées et le serveur revient. Sans le moindre doute, le voilà qui dépose délicatement le varech devant ma dulcinée. Le jambonneau m’est attribuée d’office, tout comme le pichet de vin que j’ai commandé pour elle car je ne bois pas j’essaie d’arrêter de boire. Je remercie le ciel que Monsieur n’ait pas de cigare dans la poche de son tablier, sinon je sais qu’il me l’aurait fourré illico dans la bouche – avec l’addition, bien entendu.

Deuxième acte : nous voilà chez un concessionnaire où nous sommes allés en couple il y a peu afin de nous enquérir des prestations du prix  d’une voiture neuve d’une trottinette d’occasion. À peine étions-nous entrés que ma femme a subitement disparu. Elle était là, juste à côté de moi, puis le commercial nous a souhaité la bienvenue, et soudainement, plus personne, évaporée ! Je ne nie pas que dans certains moments de la vie, cela peut présenter un aspect pratique, mais pas là, non ! 

Gollum, l’Anneau Unique. Le vendeur de tapis roulants, mon oreille droite : plus rien ni personne n’existait entre son flot de mensonges et mes tympans. 

J’ai quand même demandé à David Copperfield de faire réapparaître ma compagne, mais il avait visiblement oublié la formule magique ! Le moteur V12, les soupapes, les cylindres d’accord, mais bibiche dans tout ça ? Hein ? Elle est où ? Il a fallu que je demande à haute voix ce qu’elle pensait du bolide pour qu’elle reprenne sa taille normale. J’étais content, car une femme de un centimètre, c’est embêtant.

Alors, Gollum a compris qu’il fallait opter pour conquérir Madame. Le voilà donc qu’il lui sert tout chaud quelques commentaires léchés sur le confort des sièges en peau d’okapi – mais à qui parle-t-il ce Monsieur, à ma femme ou à son cul ? – puis sur la couleur des jantes qui se marie si bien avec le reflet de ses yeux. Même si elle avait apprécié d’une quelconque manière les flatteries vénales de mécaniciens crasseux, personnellement, des jantes vertes, ça va trop loin.  

Eh bien oui, mes ami.e.s, la vie quotidienne nous fournit d’innombrables petits indices comme ceux-ci,  qui nous rappellent constamment que Madame semble être le meilleur ami de l’Homme. Au grand dam de Médor.

Pour faire honneur à la vérité, je précise que j’ai moi-même été vaporisé par une vendeuse de chez Women’secret alors que j’accompagnais ma chérie. Je préfère pourtant les strings en satin aux carburateurs.  

Mais n’en restons pas là ! Sur la grille de départ, casaque jaune, dossard de Superman, je vous offre aussi une discussion entre amis, captée sur un quai de gare il y a quelques jours : “Moi, je ne suis pas machiste du tout, d’ailleurs j’aide ma femme tout le temps à la maison.” 

Tu “aides” ta femme, donc ? À nettoyer la pisse que TU laisses sur la cuvette ? Ou à préparer TA bouffe et celle de TES moutards ? J’ai évidemment conseillé au bonhomme de monter une ONG et de demander des subventions au Conseil général. Tant d’altruisme devrait être appuyé par l’administration publique, que diable !

Mais puisque nous y sommes, ouvrons les vannes ! Le panorama est des plus prometteurs. La promotion “un aspirateur acheté un coup de pied au cul offert” pour la fête des mères dans votre supermarché le plus proche : enfin, le pack complet !

Des ballons bleus pour les nains et des poupées roses pour les naines : Allons-y gaiement ! Faisons de nos têtards des crapauds dès leur plus jeune âge.

Les entrées gratis en boîte pour ces dames, quand ces messieurs doivent raquer un demi-salaire et porter des mocassins en fourrure de licorne pour accéder à la piste de danse – ou quand la maximisation des bénéfices transforme la gent féminine en marchandise parfumée.  

Mamie Madeleine qui considère anormal que son gendre aide à débarrasser la table : “Mais Antoine, reste assis enfin, Josiane va le faire.” Il va falloir penser à faire exorciser Mamie…

Le regard porté sur un couple formé par un vieil homme et une jeune femme : Râââââ, la salo......!

… et tutti quanti !

Décidément, le chemin promet d’être long jusqu’au jour où le micromachisme fera enfin honneur à son nom, et ne sera plus visible qu’avec un microscope électronique.